Le Racou menacé

Les conséquences juridiques de l’érosion: avancée du DPM, expropriation, destruction

1- En quoi consiste le Domaine Public Maritime (DPM) :

  • schema dpm - Les conséquences juridiques de l’érosionLa définition juridique du DPM (Domaine Public Maritime) est claire : sa limite coté terre se situe « là où arrivent les plus hautes eaux hors tempête exceptionnelle ». … « Les lais et relais font automatiquement partie du domaine public maritime… sans qu’il soit besoin de procéder à leur délimitation préalable. »  Le législateur considère enfin que : « les espaces couverts, même épisodiquement, par les flots ne peuvent faire l’objet d’une propriété privée. » .Ces éléments sont déterminés par leur simple constatation par rapport à des phénomènes naturels présents ou passés. Cette situation de submersion du Racou s’est déjà retrouvée à plusieurs reprises dans le passé. Après 3 années de répit, la plage du Racou a subi en quatre mois trois violents coups de mer d’intensité croissante les 13/10/2016, 19/12/2016, 20-21-22/01/2017 ; Un quatrième, le 14 février 1917, n’a heureusement pas aggravé la situation. Etant donné l’érosion, les maisons situées en 1ère, 2ème ou 3ème ligne, voire en 4ème ligne ont de nouveau été atteintes par la mer (hors tempête exceptionnelle) et se trouvent aujourd’hui avec certitude, sur le domaine public maritime (DPM).  Sur le plan cadastral ci-dessous, la limite ancienne du DPM est en vert et la supposée actuelle en rouge. Lors des coups de mer de l’hiver 2017 et de 2012 qui n’avaient rien « d’exceptionnels » selon la définition juridique, deux constats d’huissier ont ainsi constaté la limite côté terre des plus hautes eaux dans le vieux village et sur le parking de la place de la Sardane.
  • Le Racou, face au contentieux administratif :  Dans le passé, à deux reprises, des riverains ont été poursuivis devant le Tribunal administratif (TA) de Montpellier et la Cour administrative d’appel (CAA) de Marseille A et la CAA.  A chaque fois, il y eu une relaxe des riverains et  une condamnation de l’Etat  suite à une expertise du Tribunal administratif concluant que le DPM s’arrête côté terre « 15 à 20 m. » devant les maisons.

2- L’expropriation

À tout moment, les services de l’Etat peuvent,

  • re-délimiter le DPM (Domaine Public Maritime),
  • dresser des procès-verbaux de grande voirie contre les habitants qui y empièteraient,
  • exproprier les maisons qui s’y trouveraient situées.

La limite du DPM côté terre se situerait donc, aujourd’hui, après la 3ème ligne de maisons, voire au niveau de la rue principale, ce qui conduit, de facto, à l’expropriation de plus de 75 habitations au Racou.

Si en 1998, à la suite d’un procès-verbal de grande voirie qu’avait intenté l’Etat aux riverains, notre association avait pu démontrer que la tempête de décembre 1997 avait été exceptionnelle et que la limite du DPM se situait 15 à 20 m devant les maisons (expertise du Tribunal Administratif de Montpellier),  ce n’est plus la réalité aujourd’hui.  L’érosion de la plage s’étant fortement aggravée, cette limite a avancé de plusieurs dizaines de mètres à l’intérieur des terres et ne concerne pas seulement les maisons riveraines de la plage mais l’ensemble du veux village de sable.  Ceci est d’autant plus vrai que les habitations de 2ème et 3ème ligne se trouvent en contrebas de celles de la 1ère ligne et sont  facilement inondées en cas de coup de mer.

La commune d’Argelès continuant à refuser tout ouvrage de protection contre l’érosion au Racou, c’est l’ensemble du vieux village de sable qui va disparaître. Le contrat plan Etat Région (CPER) de 2007-2013, le rapport SOGREAH de 2003 et les rapports d’huissiers le confirment. L’extrapolation de l’avancée du DPM sur les photos aériennes ou sur le plan cadastral est particulièrement parlante.

Ainsi, à tout moment, les services de l’Etat peuvent, d’une part, re-délimiter le DPM, d’autre part dresser des procès-verbaux de grande voirie, enfin exproprier les maisons qui s’y trouvent situées. Si l’Etat ne le fait pas spontanément, tout racounien est en droit de demander de délimiter le DPM par rapport à sa propriété pouvant ainsi entraîner un effet domino pour les autres habitations.

  • En 1933 (image de gauche), les services de l’Etat plaçaient la ligne de DPM quelques mètres devant les maisons de front de mer actuel (Les maisons situées sur la plage correspondent à celles détruite en 1943 par l’armée allemande.
  • En 1999, l’expertise du Tribunal Administratif de Montpellier plaçait la ligne de DPM « 12 à 20 mètres devant la première ligne de maisons ».
  • En 2018 (image de droite), la ligne aurait reculé vers l’intérieur de plusieurs dizaines de mètres et atteindrait presque la rue principale

3- Par son patrimoine culturel et historique, mémoire du littoral roussillonnais

Comme Collioure, le Racou fut source d’inspiration pour de nombreux peintres attirés par la Méditerranée au siècle dernier. Depuis l’époque où Etienne Terrus (1857-1922) peignait  » La plage du Racou  » vers 1910, tableau qui servit de tête d’affiche à l’exposition perpignanaise de 1998 : « 1894-1908. Le Roussillon à l’origine de l’art moderne « , de nombreux peintres catalans : Louis Bausil (1876-1945) appelé le peintre du Racou, Henri Escarra, Montava, Martin Vivès, Albert Muis et même Henri Matisse, ont posé leur chevalet sur cette plage. Ils furent suivis par des peintres moins renommés et par d’innombrables amateurs amoureux de ce site où la Tramontane balaie ciel et plage et ou le sable rencontre les rochers. S’étant lié d’amitié avec É. Terrus et A. Maillol, Matisse découvrit la côte Vermeille et sa lumière et fit plusieurs croquis de la calanque de l’Ouille. Charles Trenet qui eut dans sa jeunesse des rêves de peintre a réalisé une vue du Racou et des Albères à partir de la plage argelésienne. Ainsi, on connaissait Collioure, Céret, on avait oublié le Racou. Plusieurs de ces tableaux se trouvent accrochés au musée Rigaud à Perpignan ou au musée Terrus à Elne.

3- L’absence de toute indemnisation

Le but de l’ASR est, avant tout,  la protection du Racou et non l’indemnisation des propriétaires. Cependant,  ce sujet doit être soulevé pour préciser toutes les conséquences de l’érosion marine.

L’avancée du DPM à l’intérieur des terres étant un phénomène naturel, les propriétaires n’ont droit à aucune indemnisation de l’État ou de la commune. Le Conseil constitutionnel (cons. n° 2013-316 QPC du 24 mai 2013-SCI Pascal et autre) considère en effet que le transfert de propriété au profit de l’Etat consécutif à l’extension du domaine public est dépendant de « la volonté de la nature » et non de la volonté humaine.

Le conseil constitutionnel précise : « Lorsque la délimitation du domaine public maritime est régulière, les propriétaires ne peuvent réclamer en principe une indemnité même si les conséquences des phénomènes naturels sont une réduction de la superficie de leur propriété au profit du domaine public. Toutefois, la jurisprudence administrative admet qu’ils puissent réclamer une indemnité pour le préjudice subi lorsque la modification des limites du domaine public est la conséquence de travaux effectués par l’administration ou pour son compte, qu’il s’agisse de la démolition d’une digue ou à l’inverse de la construction d’une digue ».  

4- L’érosion de la plage du Racou : « dommage de travaux publics »

L’ASR a toujours considéré que « la modification des limites du DPM est la conséquence de travaux effectués par l’administration ou pour son compte, qu’il s’agisse de la démolition d’une digue ou à l’inverse  de la construction d’une digue » . Dans un tel cas, les habitants peuvent être soit indemnisés pour le préjudice subi, soit bénéficier    d’une protection contre les coups de mer. C’est pourquoi, devant l’inaction des pouvoirs publics,  nous avions lancé, en 1997, une procédure judiciaire devant le Tribunal Administratif de Montpellier à l’encontre de la commune d’Argelès. Le but était de démontrer qu’il ne s’agissait pas d’un phénomène naturel mais que l’érosion de la plage du Racou était secondaire à la construction d’un ouvrage public, les digues de Port Argelès , qui bloquaient le transit naturel du sable venant du nord et provoquait des phénomènes de réflexion des vagues sur la plage amplifiant l’érosion. Inversement, dans le cas du Signal sur la côte Atlantique , aucune construction  de digues ne peut être rendue responsable de l’érosion.

 

En 2000, l’expertise judiciaire du TA avait conclu que « les digues de Port-Argelès avaient déclenché l’érosion de la plage du Racou ». Malheureusement, alors que tous les expertises (rapports SOGREAH, Photos aériennes IGN depuis 1935 , rapports et universitaires) démontraient que l’érosion avait débuté après la construction des digues et qu’elle était localisée au Racou, notre association a été déboutée suite à une banale erreur de procédure. Un  pourvoi en cassation auprès du Conseil d’Etat a échoué en 2016.